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Tragédie dans Orphée et Eurydice de Pina Bausch

Orphée et Eurydice est un opéra-dansé chorégraphié en 1975 par Pina Bausch (1940-2009) sur une musique de Gluck (1714-1787).

 

 

La chorégraphe allemande est une figure majeure de la danse contemporaine, les opéra-dansés sont ses premières formes de chorégraphies réalisées à partir de 1974 avec Iphigénie en Tauride également sur une musique de Gluck, en 1975 elle livre sa version transcendante du Sacre du Printemps, une de ses oeuvres les plus marquantes et qui ouvre la voie à un nouveau genre chorégraphique les stücke qui relève de ce qu’elle nomme Tanztheater, ou Théâtre-dansé. Dans ses oeuvres, des thèmes récurrents, toujours traité avec poésie et force : la quête éperdue d’amour, l’abandon, la mémoire, le rejet, la tendresse, l’égarement. 

Stéphane Bullion, danseur étoile à l’Opéra de Paris dit à propos de cet opéra-ballet :

“On ne danse pas Le lac des cygnes à vingt ans comme à trente-cinq, parce qu’entre temps on aura dansé Orphée et Eurydice.”, preuve de l’influence de la chorégraphie de Pina Bausch sur la danse, les danseurs mais aussi sur l'expérience des spectateurs. 

 

Pina Bausch dresse donc un opéra dansé qui reprend assez fidèlement le mythe d’Orphée avec au premier acte le thème trauer, le deuil, suivi de gewalt, la violence, puis de frieden la paix et enfin de sterben, la mort, thème central de l’ensemble de son oeuvre. 

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Pina Bausch

Fusionner chant et danse : quatre interprètes pour deux personnages

 

Un des enjeux d’ Orphée et Eurydice de Pina Bausch est la place qu’elle accorde aux chanteurs et aux danseurs. En effet, la base utilisée étant un opéra, Orphée étant poète et musicien, la place du chant et plus largement la place de la musique est essentielle. Cependant, la chorégraphe ne manque pas de se réapproprier également la musique de Gluck, même si celle ci impose une contrainte de temps, Pina Bausch modifie la trame narrative en plaçant le début de l’opéra dédié au mariage, à la fin du ballet, ce qui lui permet ainsi de commencer Orphée et Eurydice par la question du deuil. 

Pour le chant, la chorégraphe choisit une mezzo-soprano, voix féminine pour incarner Orphée et scinde ainsi le personnage en deux. Malgré tout, la concordance entre corps et voix est faite par la chorégraphie, par exemple, lors de l’acte III qui traite le sujet de la Paix, les gestes sont longs, étirés, des lignes corporelles qui prolongent celle de la musique et du chant. Enfin, parfois, au long du ballet, les chanteurs se mêlent au danseurs, ils semblent en être les miroirs ou bien les ombres en références aux ombres de la mort que l’on retrouve dans les différents actes. Ainsi, l’acte IV commence par un tableau présentant Orphée et Eurydice enlacés, et derrière eux, vêtus de noir, leurs voix dans une position similaire. Également, à la mort d’Eurydice, sa voix est en dessous du corps mort de la danseuse. On peut également y voir une métaphore : par la mort des corps des danseurs, leur voix s’éteignent également et sont ainsi détachés de leur corps. 

Enfin, dans le mythe original, lorsque Orphée est décapité, il continu à chanter comme un chant post-mortem, Pina Bausch récupère cette idée et laisse à la fin du ballet la voix s’exprimer, primant ainsi sur le corps mort, la musique, le chant plus fort que la danse, plus fort que la vie.

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Les corps s'étirent en harmonie avec la musique. 
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Le corps d'Eurydice, morte sur son propre chant.

La Mort, comme une évidence chez Pina Bausch

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La mort triomphante, commence le spectacle et le termine.

Au premier acte, elle s’incarne sous les traits d’Eurydice, morte dans une robe de mariée devenu linceul tandis que le corps de ballet(1) entame une procession funéraire. L’acte II suit Orphée aux enfers, l’espace est délimité par des chaises  d’un côté, espace funéraire et des draps blancs de l’autre, entrée vers la paix de l’Acte III. Dans le dernier acte, qui marque la deuxième mort d’Eurydice et celle d’Orphée, un long pas de deux(2) est dédié au couple, qui ne peut se regarder, Pina Bausch aborde ici un de ses thèmes de prédilection celui du couple et des relations hommes femmes, qui comme souvent dans ses chorégraphies mènent à la mort.

Dans cette oeuvre de jeunesse de la chorégraphe, on trouve ce

qui deviendra sa marque de fabrique  et qui ici, marque la mort : la végétation avec un arbre mort dès l’acte premier, mais aussi

Procession funéraire autour de la mariée morte Eurydice.

des costumes fluides d’une grande simplicité pour les ombres de l’enfer, mais aussi des costumes plus marquants comme la longue robe rouge que porte Eurydice au dernier acte et qui annonce sa mort prochaine, comme dans Le Sacre du Printemps où l’élue porte également une robe rouge. 

Enfin, la lumière est sombre, les ombres sont réelles ou bien incarnées par les danseuses et rappelle les tableaux de Caravage, avec des décors peu prononcés et le clair obscur qui centre l’action, ici, sur la mort. 

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La végétation comme décors chez Pina Bausch.
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Les décors de l'acte II : entre mort et paix.
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La robe rouge d'Eurydice. 
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La robe rouge de l'élue du Sacre du Printemps.

Orphée et Eurydice de Pina Bausch est une oeuvre de jeunesse mais qui a déjà tout de ce qui caractérise ses oeuvres. De plus, elle travaille à partir d'une musique de Gluck et prolonge ainsi le mythe grec d'Orphée par la présence sur scène de chanteurs et l'importance qu'elle leur donne.

Pour aller plus loin...

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Film hommage à Pina Bausch de Wim Wenders,

Pina, 2011.

Orfeo ed Euridice, sur la musique de Gluck,

mis en scène par Robert Carsen, 2018.

Opéra de Philip Glass, Orphée, 1991, à partir du scénario du film Orphée de J. Cocteau.

(1). L'expression "corps de ballet" désigne l'ensemble des danseurs d'une compagnie.​

(2). Le "pas de deux" en danse est lorsque deux danseurs se retrouvent sur scène pour danser en duo.

Sources

- DANTO Isabelle, "Pina Bausch. Celle qui a révolutionné la danse et le regard", Août/septembre 2009, Editions Esprit, pages 250-254, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-esprit-2009-8-page-250.htm  (consulté le 24 avril 2020) 

 

- DARYOUCH Leyli, “L’opéra ou l’émancipation du corps. Quelques remarques sur les mises en scène d’opéra de la dernière décennie”, 2012/2013, Nouvelle revue d’esthétique, Presse universitaires de France, n°12, pages 121 à 132, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2013-2-page-121.htm,  (consulté le 21 avril 2020). 

 

- Vassas Claudine, “Voix de femme, corps de danse. Autour de l’Orphée de Pina Bausch”, 2011, Insistance, n°5, p. 115-127 [en ligne] https://www.cairn.info/revue-insistance-2011-1-page-115.htm (consulté le 21 avril 2020)

 

- Opéra national de Paris, “Orphée et Eurydice - Christoph Willibald Gluck / Pina Bausch”, 2018,  [En ligne] https://soundcloud.com/operadeparis/orphee-et-eurydice-christoph-willibald-gluck-pina-bausch (consulté le 9 Avril 2020). 

 

- Opéra National de Paris, Orpheus and Eurydice, 26 février 2013, [en ligne]  https://www.youtube.com/watch?v=Cu5QV0Bypxk&list=PLarqa64oLaKJPLDEiGt0J8jcmdHSF7oIi&index=10 (consulté le 22 avril 2020). 

​

- Entrée Libre, France 5, “Orphée et Eurydice, un mythe de l'opéra”, 25 mai 2018, [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=Lr2cFXq8db4 (consulté le 9 avril 2020). 

​

- Formalhaut, Orphée et Eurydice (Balthasar-Neumann -Pina Bausch) Garnier, 10 mai 2014 [en ligne]  http://fomalhaut.over-blog.org/article-orphee-et-eurydice-balthasar-neumann-pina-bausch-garnier-123585468.html (consulté le 22 avril 2020)

 

- JACQUET Amaury, “Orphée et Eurydice, possédés par Pina Bausch”, Publik Art, 29 Mars 2018  [En ligne]  https://publikart.net/orphee-eurydice-possedes-pina-bausch/ (consulté le 9 Avril 2020)

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