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Orphée, poète amoureux de la Mort chez Jean Cocteau  

Jean Cocteau réalise en 1950 Orphée et reprend ainsi le célébrissime mythe. Cependant, c'est dans l’époque moderne qu’il place  l’action : le film commence par une bagarre à laquelle assiste Orphée, il est ensuite emmené avec un jeune homme blessé par la Princesse. Cette dernière est en fait la Mort d’Orphée qui est amoureuse de lui. A la suite de sa rencontre avec la Princesse, il ne va cesser de vouloir la revoir, celle ci prendra alors sa femme Eurydice, qu’Orphée poursuivra au royaume des morts avec l’ange de la mort Heurtebise. Finalement, Orphée convainc les juges de lui rendre sa femme mais à condition qu’il ne la regarde pas, sans quoi, il la perdra. Mais il revient vers la Princesse à qui il promet un amour éternel, celle ci se sacrifie pour lui et Orphée revient dans le temps auprès de son épouse. 

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Affiche du film Orphée avec les dessins de Jean Cocteau que l'on retrouve dans l'affiche du Testament d'Orphée, 1959.

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suite logique avec le film de 1930 Le sang d’un poète et celui qui suit en 1959 Le testament d’Orphée où Cocteau va jusqu’à interpréter le rôle titre. Car la poésie pour Cocteau est multiple, elle “est un démon capable de prendre toutes les formes”(1) et dans son oeuvre c'est bien sous toutes les formes artistiques que Cocteau va l’aborder : de la littérature, à la peinture, en passant par la musique et la danse ou encore, ici, le cinéma. Et c'est bien de la sorte que se retrouve aussi la poésie dans Orphée, avec notamment l’apparition de plans qui relèvent d’une picturalité saisissante comme lorsque le protagoniste du film se réveille allongé sur le sol, le visage sur une flaque d’eau après sa visite première visite chez la Princesse. Cette question de la picturalité peut aussi être abordée par le biais des inspirations de Cocteau que soulève notamment Elena Von Kassel Siambani dans son article sur l’oeuvre de Cocteau(2). Ainsi, elle relève une atmosphère commune entre la ville imaginaire que construit Cocteau et les oeuvres de Giorgio de Chirico mais aussi entre les motards qui entourent la Princesse dans le film et Les Cyclistes de Dali. Cette inspiration surréaliste marquante peut être appliquée

Cocteau, Orphée, profession poète.  

 

A la question “Qu'appelez-vous être poète ?”, Orphée répond “Écrire, sans être écrivain.”, cette définition que livre Orphée de sa profession n’est pas hasardeuse. Elle relève de ce que Cocteau appelle “l’état d’esprit poétique”(1). Si dans l’ensemble de son oeuvre, les personnages des films pouvaient aisément être identifiés au réalisateur, Orphée n’échappe pas à la règle et forme une 

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La Picturalité de cette image d'Orphée se réveillant est saisissante. 

à l’ensemble du film par “le refus de toute considération logique, esthétique ou morale, et des oppositions traditionnelles entre réel et imaginaire”(3)

Outre cette poésie d’Orphée, il faut également y voir un personnage qui identiquement au réalisateur, qui d’ailleurs ne manque pas de choisir des actrices représentatives de l’esprit des années 50, des prémices de la Nouvelle Vague qui arrive : Juliette Gréco et Anne-Marie Cazalis, tombe dans l’oubli au profit de la jeunesse, ici dans le film, au profit du jeune poète Cégeste. Si la Mort prend ce dernier, en revanche, Orphée comprend bien que passer dans l’autre monde, traverser le miroir, c'est aussi devenir immortel, idée qu’il explicite quand il dit : “La Mort d’un poète doit se sacrifier pour le rendre immortel”. Ainsi, l’histoire d’amour entre Orphée et la Princesse que l’on peut en outre lié à l’expression commune et à l’idée qu’elle représente, celle du baiser de la mort , est elle-même une entrée dans l’éternité. L’histoire d’amour première, celle entre Orphée et Eurydice, qui guidera ce premier à aller la chercher dans le monde des morts, est aussi une métaphore, il se rend dans le monde des morts pour y chercher sa vocation de poète, son amour est l’antidote de la mort poétique. 

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Giorgio de Chirico, Piazza d'Italia, 1913, Huile sur toile, 35x25cm,
San Francisco, CA, Etats-Unis, Legion of Honor Museum.
Orphée à la poursuite de la Princesse dans la ville dont l'architecture rappelle celle des oeuvres de Chirico.

Rencontre avec la mort 

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Si le mythe d’origine est celui d’Orphée et Eurydice, dans cette interprétation cinématographique de Cocteau, il n’est pas de trop de dire que c'est le mythe d’Orphée et de la Princesse, d’Orphée et de sa mort qui est mis en scène. Dans le pièce de théâtre qu’il écrit en 1929 également intitulée Orphée, la mort est représentée comme “la femme la plus élégante” et prend ces mêmes traits dans le film, la différence est que dans ce dernier, plus qu’être la mort en général, elle est la mort d’Orphée, ce que le film ne manque pas de souligner à plusieurs reprises. Autour de la Princesse, de la Mort, tout une iconographie nouvelle est déployée par le réalisateur : sa voiture, qui communique des messages codés par le biais de la radio et qui était déjà présente dans Orphée (1926) sous les traits d’un cheval, l’ange Heurtebise qui accompagne Orphée et Eurydice et leur livre “le secret des secrets” tout en livrant le secret de la mort au spectateur : le miroir “Regardez-vous toute votre vie dans une glace et vous verrez la Mort travailler comme des abeilles dans une ruche de verre”, autre élément de la mort avec les gants qui permettent de passer d’un monde à l’autre. 

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Orphée et la Princesse.

Le thème de la mort est aussi un thème récurrent dans l’oeuvre de Cocteau : “sur le chapitre de la mort, il me reste beaucoup à dire, et je m’étonne que tant de gens s’en affectent puisqu’elle est en nous chaque seconde et qu’ils devraient la prendre en résignation. En quoi aurait-on si grande peur d’une personne avec laquelle on cohabite, étroitement mêlée à notre substance ? Mais voilà. On s’est habitué à en faire une fable et à la juger du dehors. Mieux vaudrait se dire qu’en naissant on l’épouse et s’arranger de son caractère, si fourbe soit-il. Car elle sait se faire oublier et nous laisser croire qu’elle n’habite plus la maison. Chacun loge sa mort et se rassure par ce qu’il en invente, à savoir, qu’elle est une figure allégorique n’apparaissant qu’au dernier acte.”. Cette idée de la mort qui nous laisse croire qu’elle n’est plus là, donne ainsi une autre portée à la Princesse, l’incarnation de la beauté, de l’amour pour pouvoir prendre ce qu’elle a à prendre : Orphée. Cocteau fait d’ailleurs référence à la mort masquée dans sa pièce de 1926 : “Il y a encore une semaine vous pensiez que j’étais un squelette avec un suaire et une faux. [...]

Tous le croient. Mais, mon pauvre garçon, si j’étais comme les gens veulent me voir, ils me verraient. Et je dois entrer chez eux sans être vue.”. Cette idée de se cacher, de ne pas être vu, est par la suite reprise puisque selon le mythe d’origine, Orphée ne peut regarder Eurydice sans la perdre à jamais, ce que Cocteau transcrit par des scènes comiques entre le couple. De plus, il est à noter la fourberie de la Mort qui après avoir pris Eurydice pour attirer Orphée, indirectement empêche ce dernier de regarder sa femme avec l’idée qu’il lui revienne.  


“J’ai toujours préféré la mythologie à l’Histoire parce que l’Histoire est faite de vérités qui deviennent des mensonges et que la mythologie est faite de mensonges qui deviennent des vérités” écrit Cocteau. Et avec le mythe d’Orphée c'est une réappropriation qu’il en fait tout au long de sa carrière. Cependant, c'est bien dans Orphée qu’une transition se fait dans son oeuvre, avec plus de clarté que dans Orphée (1926), il dresse un véritable mythe du poète par le biais des thèmes de l’amour, du temps et enfin de la mort, centre de toute sa réflexion. 

Pour aller plus loin...

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Affiche de Parking de Jacques Demy, 1985.

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Affiche de Orfeu Negro de Marcel Camus, 1959.

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Affiche de Vous n'avez encore rien vu

 de Alain Resnais, 2012.

(1). Interview sur la poésie en 1938 dans Conferencia : https://cocteau.biu-montpellier.fr/index.php?id=551

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(2). Von Kassel Siambani Elena, Thivat Patricia-Laure, “Jean Cocteau, du Sang d’un poète (1930) à La Villa Santo-Sospir (1952)”, in Ligeia, 2010/1, N° 97-100), p. 105. 

Elena Von Kassel Siambani a un doctorat en cinéma et sciences humaines, dans son article elle retrace l’ensemble de l'oeuvre cinématographique de Cocteau et sa portée. 

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(3). Définition du CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/surrealisme

Sources

- Von Kassel Siambani Elena, Thivat Patricia-Laure, “Jean Cocteau, du Sang d’un poète (1930) à La Villa Santo-Sospir (1952)”, in Ligeia, 2010/1, N° 97-100), p. 96-110 [En ligne] https://www.cairn.info/revue-ligeia-2010-1-page-96.htm (consulté le 18 Avril 2020).

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- El Gharbie, Rana. “L’adaptation cinématographique d’oeuvres théâtrales chez Jean Cocteau.”  in Études littéraires, volume 45, numéro 3, automne 2014, p. 31–4,  [En ligne] https://id.erudit.org/iderudit/1032443ar (consulté le 17 Avril 2020).

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- Decaudin Michel, “Deux aspects du mythe orphique au XXème siècle : Apollinaire, Cocteau”, in Cahiers de l’Association Internationale des études françaises, 1970, n°22, pp. 215-227 [En ligne] https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1970_num_22_1_961 (consulté le 15 Avril 2020).

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- Matsuda Kazuyuki, “La Mort sous la forme d’une jeune femme chez Cocteau : sur la genèse du personnage de la Princesse du film Orphée”, 10/03/2001, Osaka University Knowledge Archive [En ligne] http://www.let.osaka-u.ac.jp/france/gallia/texte/40/40matsuda.pdf (consulté le 13 Avril 2020).

 

- Université Paul-Valéry Montpellier III, Centre d’étude Rirra 21, Orphée (film), 2012,  [En ligne] https://cocteau.biu-montpellier.fr/index.php?id=195 (consulté le 8 Avril 2020).

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- Yannick Jacquot Cocetta, Orphée,  [En ligne],  https://www.museecocteaumenton.fr/Orphee.html (consulté le 18 Avril 2020).

 

- Wikipédia, Orphée (film), 20 mars 2020, [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Orph%C3%A9e_(film) (consulté le 15 Avril 2020).

 

- Jacques Parsi, Jean Cocteau sur le fil du siècle, 2010, [En ligne] http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-cocteau/ENS-cocteau.html (consulté le 15 Avril 2020).

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Élève du Lycée Saint Erembert, Le mythe d’Orphée et sa modernisation, site crée en Janvier 2012, [En ligne] https://modernisationmytheorphee.wordpress.com/modernisation-du-mythe-2/modernisation-du-mythe/ (consulté le 8 Avril 2020).

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